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Évitement fiscal et concurrence déloyale

100 milliards d’euros. Chaque année. Le montant du préjudice de l’État français au titre de l’évasion fiscale, en 2019, avait fait couler beaucoup d’encre.


Et pas seulement parce qu’il avait été calculé par le syndicat de Bercy Solidaires Finances Publiques, et qu’il correspondait, peu ou prou, au montant du déficit public de cette même année.


Pourtant, le coût de l’évasion fiscale ne constitue que la partie émergée de l’Iceberg.

Et, comme chacun le sait, c’est bien la partie immergé de l’Iceberg qui coule le navire.


Qu’est-ce que l’évitement fiscal ?


Si cette partie immergée est relativement limitée concernant l’évasion fiscale des particuliers (mettons que le manque à gagner budgétaire ne permet pas un réinvestissement dans l’économie), elle est particulièrement importante concernant l’évasion fiscale des professionnels.


Dans ce dernier cas, nous parlerons d’ailleurs plutôt d’évitement fiscal, en ce qu’il s’agit non seulement de s’épargner l’acquittement d’impôts et de taxe, mais aussi d’éviter une pression fiscale à laquelle sont - ou devraient être soumis - les acteurs locaux du marché.

L’évitement fiscal, sorte d’hybridation entre optimisation et fraude fiscale, se caractérise donc par deux effets asynchrones :

  • un effet fiscal, lequel est parfois légal au moment des faits ;

  • un effet de distorsion de la concurrence, lequel se manifeste - par exemple - par la possibilité, pour la société ayant pratiqué l’évitement fiscal, de bénéficier d’une meilleure compétitivité-prix ou d’investir davantage dans ses campagnes de communication, etc.

Indépendamment de la légalité du mécanisme d’évitement fiscal, cette distorsion de la concurrence désavantage inévitablement les sociétés de tailles plus modestes qui n’ont pas les moyens de mettre en place de tels mécanismes.


La mise en place de montages fiscaux assez classiques, tels qu’un double irlandais et sandwich hollandais, ou un double hollandais pour l’Europe dans les années précédentes, suppose, en effet, la détention de minium quatre filiales à l’étranger, et des prestations de spécialistes locaux et internationaux en droit, fiscalité et finance.


S’il est évident qu’il est tout de même rentable pour de grandes multinationales d’engager ces charges pour bénéficier de l’évitement fiscal (sinon elles ne le feraient pas), une récente publication du CEPII (source) a montré que l’évitement fiscale a permis aux transnationales américaines d’augmenter de 8% le niveau de concentration de leur marché.


De la rétroactivité de la déloyauté


Si la distorsion de la concurrence relative à des pratiques d’optimisation fiscale unanimement acceptées appelle à une réponse politique (qui pourrait par exemple être la mise en planche d’une imposition plancher), celle liée à des pratiques condamnées a postériori peut amener à une action judiciaire.


Donnons deux exemples.


1/ L’abandon du montage fiscal en double irlandais / sandwich hollandais


Le 1er janvier 2020, Google a officiellement mis fin à son montage fiscal en double irlandais / sandwich hollandais, abondement critiqué par l’Union européenne depuis 2014.

Sans entrer dans les détails du modèle : Une société irlandaise facture le client (français ou européen) et reverse des royalties à une société sœur, elle aussi irlandaise. Or, la législation fiscale irlandaise permet l'exemption d'impôts sur les royalties générées sur son sol et reversés aux Pays-Bas, lesquels n’imposent pas les transferts de redevances de leur sol vers l’étranger.


Il ne reste ensuite plus (i) qu’à transférer lesdites redevance dans un paradis fiscal dans lequel elles seront imposées (en général les Bermudes) et (ii) à s’assurer que la filiale de ce paradis fiscal ait un accord avec la tête de groupe américaine de sorte à ce que les États-Unis ne puissent pas non plus procéder à d’imposition.


Ce montage, très prisé par les géants de la technologie américains, permet non seulement de s’exempter quasi-totalement d’impôt sur les sociétés, mais aussi de se passer d’établissement fiscal stable dans le pays consommateur (ce qui ne les empêche pas de louer de luxueux locaux sur le territoire…).


le fait de se passer d’établissement stable permet d’ailleurs de bénéficier d’une foule d’autres avantages fiscaux, comme par exemple la possibilité de faire peser la TVA sur ses prestataires nationaux afin d’optimiser sa trésorerie (une spécialité d’Uber par exemple), ou d’échapper à des taxe spécifiques (la taxe sur les surfaces commerciales pour Amazon).

Ce montage, unanimement décrié et parfois retoqué en totalité (nous songeons à la prise de bec entre Apple et la Commission Européenne pour 13 milliards), ou à la marge (requalification de certains prestataires nationaux en salariés), est-il constitutif d’une faute de concurrence déloyale ?


Ou, plutôt l’était-il au moment des faits ? Ou du moins, entre la période la prescription commerciale et la période de désaveu (qu’il s’agisse de l’abandon du montage par Google ou de la condamnation d’Apple par l’Union Européenne).


2/ La re-pénalisation de la transmission universelle de patrimoine transfrontalière


Jusqu’à décembre 2020, la jurisprudence français considérait (conformément à l’article 121-1 du Code pénal « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait » ) qu’une société absorbante n’était pas pénalement responsable des conséquences des infractions commises par la société absorbée avant la fusion.


L’esprit de la jurisprudence était donc celui d’une approche anthropomorphique de la société : lorsque cette dernière disparait, elle disparait avec et ses dettes.


Sur cette base, il était donc possible de mener une pratique dite de dissolution-confusion, de dissolution sans liquidation - ou, plus exactement, de transmission universelle de patrimoine transfrontalière - qui consiste grosso-modo :

  1. à dissoudre une société A (“la confondue”), ayant générée un certain chiffres d’affaires et redevables d’un certain nombre de dette, ce qui se caractérise par sa mort administrative (d’où la dissolution sans liquidation) ;

  2. dans une société B, (“la confondante”), que nous situerons intelligemment dans un paradis fiscal permettant un anonymat parfait (mettons le Delaware), qui en récupérera les actifs ainsi que les passifs certains (les dettes, mais non les éventuels litiges) déclarés.

  3. Cette procédure de dissolution-confusion doit être publiée dans un journal officiel ; publication à partir de laquelle les créanciers auront trente jours pour demander le règlement de leur créance avant dissolution de la société (on ne s’étonnera donc pas que les publications de cet type ont lieu dans le très célèbre Auvergnat de Paris, plutôt que dans le Monde…) ;

Par ce moyen, il était donc relativement facile de se défaire d’une dette envers un particulier ou un État, au motif que “le créancier est seul responsable de sa négligence” (il s’agit d’un vieux précepte de droit romain ; raison pour laquelle ce flou juridique existait en droit français).


Et nous retombons sur la fameuse question de la rétroactivité : maintenant que la jurisprudence a affirmé sans ambiguïté la responsabilité du fautif, faut-il revenir sur les avantages concurrentiels de sociétés-tupées qui pouvaient travailler leur marché sans vraiment se soucier de leur endettement ou du paiement de leur impôt ?


Comment chiffrer un préjudice de concurrence fiscale déloyale ?


Nonobstant le débat d’avocats sur la rétroactivité (des arguments existent pour la défendre), le chiffrage de la concurrence fiscale déloyale doit, à notre avis, essentiellement reposer sur le chiffrage par la faute lucrative (notre article sur le sujet).


Il est, en effet plus aisé, de mesurer l’effet de l’évitement fiscal sur la performance opérationnel du fautif (accroissement des dépenses marketing, des parts de marché, de la rentabilité sur la période, etc.) que l’inverse. L’évitement fiscal affecte en effet l’ensemble du marché, et ne se manifestes généralement pas en tant que préjudice personnel à l’un des acteurs.


Idéalement, une analyse en double différence avec une société comparable permet d’isoler précisément l’impact de l’évitement fiscal.


Dans les faits, il est toutefois plus délicat de mener ce type d’analyse, puisque les montages fiscaux internationaux s’accompagnent généralement d’un morcellement des informations comptables et financières à l’international ; ce qui permet une grande opacité de l’information (et, du reste, de dissimuler des pratiques de revente à perte ou des abus de position dominante).


Il conviendra donc de procéder en deux temps, en réalisant un premier chiffrage, à parfaire, sur la base de la communication financière extra financière disponible, et demander au juge une injonction de communiquer les pièces nécessaires.


Conclusions


Le chiffrage des conséquences anticoncurrentielles de l’évitement fiscal, se heurte donc, à l’instar de la fraude fiscale qu’il se défend d’être, à l’opacité de l’information.


C’est pourquoi, si des voies de recours existent, la réponse devrait être plus importante. Il revient aux institutions publiques, et notamment à la Commission Européenne qui lutte contre ses pratiques, d’impulser des réformes.




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