Affaire du Siècle, réparation à la petite semaine ?
Dernière mise à jour : 17 avr. 2021
La décision du tribunal administratif était pourtant historique !
Au cours de l’Affaire du siècle, le 3 février dernier, la justice a reconnu pour la première fois que le non-respect de ses engagements pour la planète (en termes de réduction de gaz à effet de serre) constituait une faute de l’État français.
Comme souvent depuis son instauration en 2016, le préjudice écologique n’a pas été réparé (arrondi à l’euro symbolique près…).
A l’évidence, l’heure, celle des actions d’ampleur (contre Total notamment) et de l’urgence climatique, n’est plus aux réparations symboliques.
Mais alors, où le bât blesse-t-il ?
Gold’or, un cas d’espèce
En fin d’année dernière, la société d’extraction aurifère Gold’or a été condamnée à verser une amende de 100.000 euros (hors frais et dépens) pour la pollution de la crique Kokioko, située en Guyane.
La réparation résiduelle du préjudice écologique a été, une fois encore, fixée à un euro symbolique, faute d’éléments de chiffrage suffisants.
Cette insuffisance de données est principalement due à l’isolement du site, et à l’ampleur du désastre.
La crique Kokioko est en, effet, perdue en pleine forêt amazonienne, si bien que l’on disposait de relativement peu de données environnementales avant le sinistre.
Et après ce dernier, la mine aurifère avait déversée tant d’agents polluants (taux de masse en suspension 4800 fois supérieure à la norme autorisé selon le dernier relevé des agents de l’ONF) et de boue (Gold’or avait détruit les digues qui retenaient le lit boueux) dans les eaux de la crique que la biosphère en a été irrémédiablement altérée.
Au point qu’il était devenu impossible de dimensionner précisément le dommage (notamment par rapport à la biodiversité disparue).
Du reste, une quantification – même partielle - du dommage aurait nécessité de dépêcher une équipe de chimistes, de zoologistes, de topographes experts de la région sur des lieux peu accessibles plusieurs semaines durant.
Si une telle expédition est réalisable, son coût est assurément prohibitif, et souvent rédhibitoire lorsque l’environnement d’étude est très dégradé.
Une mine artisanale perdue dans la forêt amazonienne, un déluge de boue, des niveaux de pollutions aberrants… d’aucuns pourraient objecter que le cas est quelque peu extrême pour être représentatif.
Tout du moins est-il symptomatique des challenges que soulève une expertise financière de préjudice écologique.
Rappelons qu’en premier ressort – pour les cas les plus évidents donc – le Code Civil accorde la prééminence à la réparation par nature (restitution, remise en état etc. du préjudice causé) :
« La réparation du préjudice écologique s'effectue par priorité en nature. En cas d'impossibilité de droit ou de fait ou d'insuffisance des mesures de réparation, le juge condamne le responsable à verser des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l'environnement, au demandeur ou, si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à cette fin, à l'État. L'évaluation du préjudice tient compte, le cas échéant, des mesures de réparation déjà intervenues, en particulier dans le cadre de la mise en œuvre du titre VI du livre Ier du code de l'environnement ». Article 1249.
En conséquence, les affaires concernées par le chiffrage de dommage et intérêts sont, par définition, des affaires délicates.
Et l’affaire Gold’or, parce qu’elle les hyperbolise, illustre bien les difficultés de chiffrage des dommages auxquelles les avocats et experts sont souvent confrontés.
Des difficultés d’un chiffrage classique du préjudice écologique
Les principales difficultés spécifiques au préjudice écologique sont de trois types :
la connaissance de la situation ex-ante : tout préjudice (écologique ou non) se comprend comme la dégradation fautive d’une situation initiale. En ce sens, l’évaluation d’un préjudice écologique présuppose une bonne connaissance de la situation du site endommagé ex-ante. Si, grâce à la prise de conscience écologique, ces informations existent et se multiplient, elle demeurent à ce jour éparses et coûteuses à acquérir.
le dimensionnement du dommage : défini dans l’article 1247 du Code Civil comme « atteintes non négligeables aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement », le préjudice écologique est protéiforme. Un même acte de pollution peut, par exemple, simultanément appauvrir les sols, altérer les eaux et bouleverser l’équilibre de l’ensemble de la faune et de la flore locale (chacune de ces exactions pouvant à sont tour entraîner des conséquences funestes…).
le chiffrage du dommage : l’application d’une valeur à la nature ne va pas de soi. La valeur d’un élément naturel doit, entre autres, être déterminé (i) par rapport à son coefficient trophique (pour simplifier, son importance dans l’équilibre d’un écosystème donné), (ii) les externalités positives (écologiques, économiques, sanitaires, sociales, etc.) engendrées par ledit élément, (iii) la valeur d’usage de cet élément (prix du stère de bois pour un arbre par exemple), (iv) la capacité de régénération de cet élément une fois le site dépollué.
Au reste le principe fondamental de réparation intégrale du préjudice ne facilite pas la tâche. Comment traiter l’éventualité d’une externalité positive ?
Supposons que la pollution éradique un prédateur nuisible, et permette, une fois le site dépollué, la réintroduction d’espèces protégées dans leur milieu naturel. Dans quel mesure faut-il déduire cette éventualité favorable du préjudice ?
L’autre défi posé par la réparation intégrale du préjudice est celui de l’identification et des effets des mesures de réparation déjà intervenues ; lesquelles doivent parfois être valorisées en collaboration avec des experts techniques de moyens industriels ou technologiques mis en œuvre.
Selon que ces mesures soient de l’initiative de l’entreprise fautive ou d’acteurs tiers, ils convient d’en retraiter ou non le coût du chiffrage du préjudice.
A l’exception de la méconnaissance de la situation ex-ante (sur des cas de catastrophe écologique), ces difficultés ne sont pas insurmontables.
Elles exigent toutefois d’engager d’importantes ressources financières afin de diligenter divers experts et sapiteurs (en zoologie, en topologie, en économie, en finance, en santé, en technologie de dépollution, etc.) pour mener à bien les travaux.
Des possibilités de financement existent d’ores et déjà pour ce type d’actions et doivent se multiplier dans un futur proche.
Pour un chiffrage par le coût de remise en meilleur état
Terminons ce bref état des lieux du chiffrage du préjudice écologique, par une considération purement méthodologique.
Le principe de réparation intégrale du préjudice, tel qu’il est définit par la jurisprudence française impose de « rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu » . (Civ. 2ème, 28 octobre 1954, Bull. civ. II, n° 328)
Classiquement, ce principe suppose d’évaluer le dommage infligé afin de corriger tout à la fois (i) le coût (d’opportunité) subi par la victime et, par jeu de vases communicants, (ii) le bénéfice (monétaire ou malin) retiré par le fautif.
Une interprétation subsidiaire de ce principe permet toutefois de chiffrer les dommages intérêts à concurrence des coûts à engager pour réparer le préjudice subi (au risque que ce montant ne coïncide pas exactement avec la valeur des actes dommageables, ce pourquoi il ne s’agit que d’une interprétation subsidiaire).
En matière de réparation civile plus classique, cette interprétation est régulièrement invoquée dans le cadre de chiffrage de perte d’image ou d’avilissement de marque, à concurrence des dépenses défensives et de réhabilitation devant être engagées par la victime pour reconstruire sa notoriété.
A défaut de pouvoir chiffrer rigoureusement l’ampleur du dommage écologique, le chiffrage par la remise en meilleur état – si décevant soit-il – pourrait ainsi être exploré.
Un tel chiffrage serait, d’ailleurs, d’une stricte cohérence avec les dispositions du Code Civil, déjà évoquées, de préférence pour la réparation par nature (ou restitution) et de prise en compte des réparations déjà effectuées au moment de l’évaluation du dommage.
Il permettrait surtout de définir un plancher indemnitaire permettant de financer des actions concrètes, au-delà de l’euro de réparation symbolique qui demeure encore trop souvent le prix d’une bonne conscience facile.
Conclusions
Déjà d’une actualité brûlante, les actions écologiques d’ampleur vont inéluctablement se multiplier à mesure que l’urgence écologique se fait plus cuisante.
Depuis la loi du 24 décembre dernier les juridictions (civiles et pénales) et les magistrats sont d’ailleurs spécialisés en matière d’atteinte à l’environnement.
Nul doute qu’ils seront donc à même d’apprécier très finement les demandes de dommages et intérêts en réparation du préjudice écologique qui leur seront soumises à l’avenir.
Si les règles de chiffrage du préjudice écologique gagneraient à être précisées pour éviter les réparations symboliques trop nombreuses encore (surtout lorsque les réparations en nature sont impossibles), il est d’ores et déjà possible de justifier rigoureusement de demandes en réparation monétaire d’un préjudice écologique.
Pour ce faire, les frais de dossiers peuvent certes être élevés, mais le jeu en vend la chandelle.
Et rappelons, à toutes fins utiles, que des solutions de financement des préjudices existent [en savoir plus].
