Concurrence, données personnelles : à qui profite le crime ?
L’antitrust est en vogue. L’actualité de la concurrence ayant fait l’objet de plusieurs billets, nous n’allons pas en disconvenir.
Rien que cette semaine : l’ordonnance de transposition de la directive ECN+ (renforçant les ressources de l’Autorité) a été publiée, Google a annoncé vouloir négocier quant à ses abus de position dominante dans le secteur de la publicité en ligne francophone (l’Autorité devrait rendre un avis sur le sujet lundi prochain) et s’est vu reprocher d’autres abus concernant cette fois la presse Internet, Facebook a proposé des engagements à l’autorité, et – à l’international – Epic et Apple ont livré les dernières passes d’armes de leur premier duel judiciaire.
La question des données personnelles est à peine moins récurrente. Derrière ces nobles chevaux de bataille se cachent toutefois des intérêts très disparates.
La concurrence de Staline
Prenons l’exemple le plus évident. Depuis le début de l’année, le parti communiste chinois a systématisé les sanctions (pour pratiques anticoncurrentielles et atteintes à la vie privée) contre ses champions nationaux des nouvelles technologies (Alibaba, Tencent, Weibo, ByteDance, Huawei, NetEase, etc.).
Comment souvent avec l’Empire du Milieu, cette série de mesures répond à une double logique propre : si l’attrait chinois pour le capitalisme est désormais évident, il n’en reste pas moins que Ji Xinping est le président chinois le plus véhément de ces dernières décennies.
Au-delà de simples sanctions, la méthode employée par le gouvernement chinois a tout d’une mise au pas, et présente d’ailleurs une similitude troublante avec la façon dont Vladimir Poutine a maté certains oligarques au début des années 2000.
Le 18 mars dernier, le gouvernement central chinois avait convoqué les 34 principales entreprises numériques du pays et à poser ultimatum d’un mois pour corriger toute pratique restrictive de concurrence ou portant atteinte à la vie privée des utilisateurs.
Et le couperet tombe : dernièrement, Alibaba a été sanctionné à une amende de 2,3 milliards d’euros pour abus de position dominante (un des records mondiaux en la matière). Sans même parler des exigences extra-financières du gouvernement (limitation de la communication de la société) ou de l’étrange disparition de Jack Ma – fondateur de Alibaba - fin 2020.
Une telle volonté de contrôle de toute sorte de contrepouvoirs – et spécialement celui des grandes entreprises privées – n’est pas étonnante, en ce qu’elle est typique du communisme (Staline craignait tout particulièrement des entreprises privées ne deviennent un jour plus puissantes que des états…).
Des contours arbitraires
Pour radical que la position chinoise soit, elle témoigne de la divergence des intérêts qui peuvent porter un même concept.
Plus proche de nous, des voix s’élèvent depuis peu contre la CNIL, qui ne serai pas parvenue à imposer la RGPD aux GAFAM en trois ans (la RGPD est entrée en vigueur le 25 mai 2018). [Lien source]
Autrement dit, la protection des données personnelles seraient sensibles aux interprétations et aux jeux politiques.
De même, l’Autorité de la concurrence a plutôt renforcé ses pouvoirs qu’elle ne les a étendus : elle se limite toujours au contrôle des ententes (fixation de prix ou répartition de marché, partages d’informations commerciales sensibles, appel d’offre faussé, limitation des débouchés) et des abus de positions dominantes (refus de ventes, ventes liées, prix prédateurs, conditions de vente discriminatoires).
Nous sommes donc encore loin de la concurrence pure et parfaite censée être l’idéal d’une économie néoclassique (atomicité des acteurs, transparence parfaite, liberté d’entrée sur le marché, libre circulation des facteurs de production, homogénéité du produit).
Et si la législation évolue – avec un temps de retard – sur le développement de certaines nouvelles pratiques anti-concurrentielles (le bot sclaping par exemple, voir notre article : ), elle demeure muette sur d’autres pratiques.
Deux exemples :
- si la question d’une concurrence déloyale à partir d’une différence de fiscalité ou de subventions publiques fait son chemin (dans le secteur de l’aéronautique dernièrement), celle d’une concurrence déloyale par la différence de capitaux privés est systématiquement passée sous silence. Pourtant, de telles différences de financement (qui se chiffrent en milliards de dollars pour les plus gros leveurs), permettent à certaines sociétés d’investir massivement dans le marketing ou de mener de véritables guerres des prix sans être inquiétées.
La libre concurrence s’arrêterait donc aux portes de la start-up nation.
- L’existence de parties communes (participations croisées entre deux actionnaires) n’est pas non plus remise en cause – hors cercles universitaires -, alors qu’elle mène à la formation d’entente et à l’érection de barrières à l’entrée de marchés.
Conclusions
La fièvre antitrust qui s’est emparée des économies développées depuis le début de l’année n’implique donc pas une préférence absolue pour la concurrence.
Tout au plus, les économies occidentales privilégient-elles une certaine forme de concurrence, fondée sur l’interdiction des mécanismes de prédation les plus grossiers ou les plus nocifs au consommateur.
Parfois même mêlent-elles d’autres intentions politiques à la promotion de la libre concurrence.
