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Contentieux d’actionnaires - Quelle date d’évaluation retenir ?

Nous sommes à l’aube du nouveau millénaire. Vous avez survécu au grand bug de l’an 2000, et l’équipe de France vient de remporter l’Euro.


Qui plus est, vous avez eu le nez creux et êtes détenteurs, depuis 1996, d’actions de plusieurs sociétés non-côtés du secteur internet alors en plein essor.


Seule ombre au tableau : un majoritaire a fait jouer une clause de cession forcée pour vous sortir d’une de vos participations pour un prix dérisoire.


Deux ans plus tard, vous faîtes expertiser votre préjudice en vue d’une procédure dans les mois à venir. Mais la situation a radicalement changé : AOL s’est écroulé, la bulle du secteur internet a explosé, et vos investissement naguère florissants n’ont plus grande valeur.


La valeur contrefactuelle des actions que vous avez dues revendre doit-elle être chiffrée à l’aide des informations connues à date de sortie forcée (de préjudice) ou à celle connues à date de jugement ?


Où l’on reparle de causalité


Dans le cadre du droit français, cette question doit s’étudier sous l’angle du lien de causalité.


Si ce dernier peut être appréhender de manière relativement souple dans le cadre de la responsabilité délictuelle, il doit être déterminé de façon stricte dans le cadre de la responsabilité contractuelle, conformément à l’article L1231-3/4 du Code Civil :


« Le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive.


dans le cas même où l’inexécution du contrat résulte d’une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution. »


Concernant un préjudice relevant de la responsabilité contractuelle, il convient donc généralement de pratiquer une valorisation à date de préjudice (ou valorisation ex-ante).

Si ce type de valorisation ne condamne pas explicitement possibilité de chiffrage d’une perte de chance (« qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du Contrat »), elle la limite fortement.


Relativement simple dans le cadre de la stricte responsabilité contractuelle, la problématique est plus épineuse dans le cadre de la responsabilité délictuelle.

Le principe de réparation intégrale du préjudice, irriguant le droit français, tire davantage vers l’application d’une valorisation à date du jugement (dite valorisation ex-post) afin d’intégrer l’ensemble des conséquences de l’action délictuelle.


Il n’existe toutefois pas de consensus sur la question, étant donné que qu’il est toujours délicat d’intégrer une information très postérieures aux faits à l’analyse.


Prenons un exemple célèbre : Euardo Saverin, évincé de son poste de cofondateur de Facebook au milieu des années 2000 (avant que la justice américaine ne prononce sa réintégration), aurait-il pu prétendre à une indemnisation portant sur le pleine valeur des actions Facebook ?


Peut-on encore considérer – dix ans plus tard encore que la valeur des titres de Facebook aurait été la même si Eduardo Saverin n’avait pas été évincé ?


Autrement dit, plus éloignée est la date de jugement de la date de préjudice, plus difficilement isolables sont les conséquences du préjudices, et plus discutable est le choix d’une évaluation ex-post.


Dans de telles circonstances, la décision d’évaluer ex-ante ou ex-post doit être prise par l’expert après examen minutieux du cas d’espèce.


Perspectives arbitrales


Dans le cadre d’un arbitrage, les choses sont différentes. Les standards de réparation, y compris celui de la date d’évaluation, sont fixés par des traités (bien que ces derniers s’alignent très largement sur les règles de droit commun.


Dans le cadre des arbitrages internationaux États - investisseurs (portant sur des essentiellement sur des expropriations), la jurisprudence reprend ainsi les deux approches ex-ante (évaluation à date d’expropriation) et ex-post (évaluation à date de sentence) mais déplace leurs modalités de sélection.


L’évaluation ex-ante est alors dédiée à la valorisation de la juste compensation expropriations quasi-licites (une expropriation pour laquelle l’État n’a pas offert une compensation suffisante mais réalisée dans le respect des limites, motifs et préavis prévus par le droit international et les traités applicables) tandis que l’évaluation ex-post est théoriquement privilégiée dans le cadre d’une expropriation illicite (une expropriation réalisée en violation du droit international).


Il arrive toutefois que l’application ex-ante soit retenue dans ce second cas lorsque l’évaluation ex-post nuit à l’investisseur (la question a été abondement débattue par le tribunal arbitral Iran-US dans le cadre des dossiers jugés après la révolution iranienne de 1979 par exemple).


Notons que, dans le cas plus spécifique des expropriations, d’autres considérations viennent se mêler au choix d’une date de valorisation.


En cas d’annonce publique préalable à la date d’expropriation, il conviendra, par exemple, de procéder à la valorisation à date d’annonce plutôt qu’à date d’expropriation dans la mesure où ladite annonce est suffisante pour faire nettement chuter la valeur de l’actif exproprié.


Conclusions

Si des grands principes de choix de la date de valorisation existent donc, il n’y a pas pour autant de règle inscrite dans le marbre.


Il revient donc à l’expert d’examiner spécifiquement chaque cas afin de déterminer la date d’évaluation la plus pertinente.




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