Créances arbitrales : quelles voies de recouvrement ?
Dernière mise à jour : 17 avr. 2021
Un retour d'expérience
Chères toutes, chers tous,
Fin 2019. Paris vivait son été indien. Mon associé et moi-même étions assis dans le hall d’un grand hôtel parisien, le nez plongé dans deux cafés bien corsés, en attendant que l’on descende nous appeler.
Nous devions rencontrer dans une suite - nous ne savions pas laquelle – une grande fortune africaine, pour une des missions les plus singulières de notre carrière. Nos premiers échanges avaient été sibyllins.
Tout au plus avions-nous compris que notre contact était intéressé par nos structures jumelles (l’une dédiée au contentieux [lien], l’autre à la recherche de financement et au M&A [lien]), que la mission était spécifique et la rémunération alléchante.
Nous n’avons pas été déçus. La situation de notre client de naguère n’étant finalement pas si différente de celles d’autres parties, nous souhaitons partager, à toutes fins utiles, quelques enseignements que nous avons tirés de cette mission.
Quelques précisions sur le cas d’espèce
Revenons donc à nos cafés noirs. Après quelques minutes de patience, nous sommes invités à rejoindre une chambre et sommes introduits à notre futur client : le président d’un conglomérat d’Afrique équatoriale, implanté dans différents secteurs stratégiques (immobilier, finance, grande distribution, etc.).
L’affaire nous intéressant trouve son origine il y a quelques années, alors que le groupe devait mener un important projet de développement immobilier pour le compte d’un État d’Afrique équatoriale.
Peu après, ce projet a été annulé (nous tenons les détails confidentiels), et a fait l’objet d’un arbitrage (dans le cadre des actes uniformes de l’OHADA) à l’issue duquel le conglomérat a obtenu réparation de plusieurs millions d’euros.
Le gouvernement de l’époque a toutefois refusé de régler l’indemnité réparatrice, alors même que les instances judiciaires du pays avaient validé la décision arbitrale.
Précisions que les difficultés de recouvrement des créances arbitrales (voire même d’honoraires d’expertes) sont assez fréquentes sur ce type de litiges états-investisseurs, marqué par une instabilité politique forte.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les tiers financeurs des opérations d’arbitrage, sur lesquels nous reviendront dans ses colonnes sous peu, se montrent particulièrement attentifs aux voies de recouvrement liées au contentieux.
Quelques voies de recouvrement ouvertes
L’exécution forcée de la sentence, ou exequatur, constitue la voie de recouvrement la plus classique. La plupart des traités d’arbitrages permettent, en effet, de faire exécuter leur sentence dans l’ensemble des juridictions signataires. Face à une entreprise, cette disposition s’avère particulièrement efficace. Face à un état souverain, elle est en revanche plus limitée et fonction de considérations géopolitiques.
Dans quelques cas, comme celui de l’affaire que nous avons traité, un relais supplémentaire peut être trouvé grâce au principe de subsidiarité. Sous certaines conditions, un arbitrage relevant du droit OHADA peut par exemple faire l’objet d’un exequatur sous l’égide de la convention de New York (dont la plupart des membres des nations Unis sont signataires).
Si ce relais permet d’atteindre des juridictions plus influentes auprès de l’état parti à l’arbitrage, elle ne garantit pas pour autant le recouvrement de la créance.
Profitons de cette remarque pour évacuer d’emblée les services de default management de certaines bancassurances qui ne constituent pas à proprement parler des solutions de recouvrement, mais plutôt des instruments de délégation de recherche d’une telle solution. Bien souvent, ces services fonctionnent sur le modèle de la cessation de créance avec paiement après recouvrement.
Au-delà de l’exequatur, les voies de recouvrement ne sont plus strictement juridiques mais politiques et financières. Selon notre expérience, cinq solutions sont envisageables. Elles sont présentées ci-après par pourcentage de recouvrement décroissant :
la négociation avec l’état partie à l’arbitrage : l’instabilité à l’origine même des difficultés de recouvrement de la créance est source d’opportunités de recouvrement. Un changement de régime rebat en effet les cartes ; et ce d’autant plus que le nouveau régime est soucieux du développement économique et de l’attractivité financière du pays. Si l’État-partie accepte de régler sa dette, les négociations porteront davantage sur les intérêts et les éventuelles astreintes que sur la somme elle-même. Il s’agit donc de la solution idéale qui, selon nous, mérite d’être tentée.
la remise à l’escompte dans une banque locale : il ne s’agit pas d’un simple affacturage. L’idée de cette remise à l’escompte est d’adjoindre une banque locale aux négociations avec l’État-partie. Les liens privilégiés de cette banque locale avec l’État-partie permettent ainsi de faciliter la transaction. Ce type d’opération est assez fréquent et se pratique moyennant un escompte d’environ 10% sur le volume recouvré (donc après accord tripartite clair sur la valeur négociée).
la cession de gré à gré, éventuellement organisée par une banque privée : l’idée est de céder la créance à une personnalité influente / grande fortune du régime (ou simplement un acteur étranger, bénéficiant du rapport de force géopolitique), dont les perspectives de recouvrement sont importantes. Les banques privées jouent les entremetteuses, en échange d’une ouverture (d’autant qu’elles se développent fortement depuis quelques années). Cette cession se fait générale sans condition de négociation préalable avec l’État-partie de mais pour un prix moindre que le nominal récupérable.
la titrisation auprès d’une banque d’affaires : les créances arbitrales détenues par des états peuvent être rachetées par des banques commerciales afin d’être titrisés avec d’autres types de dettes d’état, présentant un niveau de risque différent. Le prix de cession obtenu peut être tout à fait acceptable, mais le processus de titrisation en lui-même peut être assez onéreux et long à mettre en place.
la cession à un fonds spécialisé : certains fonds d’investissement sont spécialisés dans le rachat de créances commerciales et/ou d’arbitrages. Les créances sont toutefois très souvent rachetées pour moins de la moitié de leur valeur initiale.
Chacune de ces voies de recouvrement est envisageable. Il s’agit donc de calculer rigoureusement leur rapport coût /avantage (ce en quoi notre qualité d’expert financier nous est utile) avant d’en choisir une. À notre sens, ce calcul suppose un déplacement sur le terrain afin d’évaluer l’accessibilité et l’ouverture des réseaux politiques et financiers locaux.
De l’importance du terrain
Aussi, avions-nous, quelques semaines après notre discussion de l’hôtel, décollé en direction de la capitale économique. Dûment vaccinés contre la fièvre jaune et médicamentés contre le paludisme, nous partageâmes le vol avec un banquier privé de notre réseau.
Quelques heures plus tard, nous avions gagné notre suite et planifions notre tour des banques locales. Forts de recherches effectuées en amont, nous portions un intérêt particulier à la filiale d’une grande banque Française ; laquelle avait été le partenaire principal de l’État-partie lors de l’émission obligataire de 500 millions d’euros, réalisée quelques mois plutôt.
Plus généralement, nous avions identifié la nouvelle politique économique et financière de l’État-partie comme un élément clef du recouvrement. Depuis l’élection d’un nouveau président en 2016, ce pays s’est en effet montré très soucieux du remboursement de sa dette extérieure dans le but de rassurer les investisseurs.
Cette politique, consacrée par une première notion au rang B + par l’agence de notation Standard & Poor’s, a notamment permis l’émission obligataire évoquée ci-dessus.
Une telle politique implique toutefois de privilégier nettement le remboursement de la dette extérieure à celui de la dette intérieure. Nous avons envisagé de profiter de ce déséquilibre.
En deuxième option, nous songions, en effet, à procéder à une cession de la créance arbitrale à un acteur étranger qu’il s’agisse d’une grande fortune (conseillé par notre banque privée partenaire) ou d’une banque étrangère (les banques françaises et marocaines y sont particulièrement bien implantées).
Nous avons toutefois préféré, en première option, travailler sur une remise à l’escompte auprès de la banque locale ; lequel permettait tout à la fois un taux de recouvrement plus important et un dénouement plus rapide (en raison des bonnes connexions qu’avaient à la fois notre client et la banque locale avec le Ministère de l’économie de l’État-partie).
Sur la base d’une bonne organisation, l’identification, la sélection et l’engagement dans une voie de recouvrement peuvent être réalisés très rapidement ; en quelques jours (et heureusement pour nous, qui sommes intervenus à quelques semaines du déclenchement de la pandémie de la Covid-19).
Ces premiers jalons posés, le dossier de recouvrement peut ensuite être piloté et formalisé à distance.
Au cas d’espèce, précisons que la remise à l’escompte d’une créance arbitrale suppose :
la rédaction d’un accord tripartie, dont la lettre peut faire l’objet de nombreux débats entre des parties ayant souvent plusieurs niveaux de validation ;
la validation de l’opération par le comité directeur de la banque, selon un processus qui peut s’étaler sur plusieurs semaines (pour un montant de plusieurs millions d’euros, l’opération sera soumise à au moins deux comités).
Le process n’est évidemment pas le même pour une cession à un fonds spécialisé, ou, gré à gré, à une grande fortune, mais, dans tous les cas, un travail de mise en œuvre et de bouclage de plusieurs semaines s’impose.
Conclusions
Lorsqu’il sort du strict cadre de l’exequatur, le recouvrement d’une créance arbitrale devient, par nature, complexe. Plusieurs voies de recouvrement existent mais elles doivent être mûrement réfléchies et minutieusement préparées.
Le travail sur le terrain est indispensable au bon design de l’opération. Aussi, une telle intervention est-elle relativement onéreuse et ne doit-elle être entreprise que lorsque la créance arbitrale présente un montant important.
Précisons enfin que le recouvrement d’une créance arbitrale sur un État caractérisé par une forte instabilité politique constitue le cas le plus difficile de recouvrement, et dépend en grande partie des opportunités financières que nous saurons déceler.
Un recouvrement sur un contentieux plus classique est naturellement plus aisé, pour peu que la partie condamnée soit solvable (question qui ne se pose d’ailleurs pas dans les mêmes termes pour un État ou un acteur privé).
