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Fondamentaux du préjudice de l’actionnaire

Comment vous y prendriez-vous pour faire un poisson d’avril à des investisseurs ?


Une bonne option est de sortir son col roulé le plus californien, d’expliquer que vous avez développé une solution révolutionnaire permettant de de détecter facilement n’importe quelle maladie, et d’insister sur votre prédestination à porter le projet (ancêtres médecins et entrepreneurs, parents atteints d’une maladie incurable, etc.).


Et, il faudrait arroser le tout d’un bon slogan, psalmodié avec gravité et trémolos dans la voix. Type :“People don’t have to say goodbye too soon (to those they love) ».


Cucul la praline ? Surement mais nous ne sommes déjà plus vraiment dans la blague.

Certains d’entre vous auront reconnu le leitmotiv d’Elizabeth Holmes, fondatrice de Theranos, et coqueluche de la Silicon Valley de 2010 à 2015.


Vous l’avez deviné. Après le préjudice causé par l’actionnaire au dirigeant la semaine dernière, nous évoquons, cette semaine, le préjudice causé par le dirigeant à l’actionnaire.

Retour sur l’un des plus gros scandale de la Valley.


Le cas Theranos – le préjudice de l’actionnaire dans une société non-cotée


La société Theranos, qui a levé plus de 700 millions de dollars, de 2004 à 2015, promettait à ses actionnaires de révolutionner le domaine du dépistage médical, en réalisant – à partir de quelques gouttes de sang, des dizaines d’analyses sanguines permettant de dépister la plupart des maladies connues.


Des économies de temps et d’argents phénoménales, une capacité de détection inédite…

Beaucoup ont suivi cette promesse alléchante qui est restée à l’état de promesse (peu de fonds spécialistes de la santé toutefois).


Afin de ne pas révéler les revers du développement de son produit, Elizabeth Holmes et son équipe ont sciemment falsifié des documents, jusqu’à duper en 2013 l’autorité de régulation de la santé américaine.


A son apogée, en 2015, Theranos était donc valorisée plus de 9 milliard de dollars sur un mensonge.


A la suite de deux articles à charges en octobre 2015 et mai 2016, les dissimulations de Theranos sont révélées et l’équipe dirigeante est inculpée pour fraude massive. La société est dissoute en septembre 2018.


L’affaire Theranos est assez représentative des deux principaux contentieux que peut avoir l’actionnaire avec le dirigeant :

  • L’information trompeuse. Du fait de notre tradition civiliste, il s’agit d’un poste de préjudice assez délicat à évaluer (en droit romain primitif, un principe de responsabilité primait de sorte que la négligence d’une des parties – sur un mauvais prêt ou un mauvais investissement – ne devait pas être réparée). La Cour de Cassation a notamment refusé que ce poste de préjudice soit évalué, à la manière d’un préjudice boursier, par la perte de chance de réaliser meilleur investissement (ou de limiter ses pertes d’investissement) à cause d’une mauvaise information (Cass.com 16 mai 2018, n°, 16-20864, Rev. soc. 2018, p. 708).


  • La recherche de responsabilité du dirigeant : Dans le cadre d’une liquidation judicaire notamment, l’actionnaire peut engager la responsabilité du dirigeant responsable de fautes de gestion (notamment des fraudes opérationnelles ou comptables) afin d’obtenir réparation de capitaux investis. Il s’agit d’une réparation minimale car l’actionnaire est souvent le dernier servi dans le cadre d’une liquidation (après les salariés, les fournisseurs, et les prêteurs notamment), et que l’entreprise n’a dans les faits bien souvent plus lLes ressources pour permettre réparation (une entreprise réalisant de mauvais résultats financiers « mange » son capital).


A titre plus ponctuel, l’actionnaire-acquéreur peut être concerné par un dol du dirigeant vendeur (dissimulation ou mensonge d’informations). Dans ce cadre, il peut être sollicité une annulation du contrat, ou une réparation pour «la perte d’une chance d’avoir pu contracter à des conditions plus avantageuses» (Cass.com. 5 juin 2019, n° 16-10391, Rev. soc. 2019, p.742) pour acquérir l’actif.


Au nombre des critiques revenues le plus souvent dans l’affaire Theranos figure, outre la culture californienne du blitzscaling et du « fake until you make it », le fait que cette start-up ait ait levé une masse de capitaux privés telle qu’elle n’a pas eu besoin de s’introduire en bourse (et donc de se soumettre à des contrôles et des obligations d’informations stricts) pour atteindre une taille critique.


Est-ce à dire qu’une affaire du calibre de Theranos n’est jamais arrivée sur une société cotée ?


Le parangon Enron – le préjudice de l’actionnaire dans une société cotée


A l’évidence. C’est d’ailleurs arrivé une grosse décennie avant le scandale Theranos la septième capitalisation boursière des Etats-Unis.


Si Theranos falsifiait ses tests pour répondre aux promesses lancées aux fonds

d’investissement à son capitale, Enron falsifiait ses comptes afin de répondre aux attentes des boursicoteurs (c’est-à-dire en faisant apparaître de haut niveaux de profits, et en minimisant le mur de dettes – plus de 40 milliards de dollars).


Pour ce faire, la société utilisait une myriade de sociétés-écrans domiciliée dans des paradis fiscaux afin de se racheter son propre gaz, afin de faire passer un flux interne pour un revenu.


Dans le cadre d’une société côté, le préjudice de l’actionnaire consiste principalement dans la perte de chance de réaliser meilleur investissement, évoqué supra, en raison d’un défaut d’information ou d’une information inexacte, imprécise ou trompeuse qui aurait été diffusée par les dirigeants.


Relevant d’une action en responsabilité délictuelle classique, la réparation du préjudice boursier impose :

  • La démonstration d’une faute (annonce disproportionnée ou erronée, profit warning différé, etc.) ;

  • La démonstration d’un lien de causalité et le préjudice, en l’espèce de l’influence de l’action fautive sur le cours de bourse, puis sur les décisions prises par l’actionnaire en particulier ;

  • L’évaluation du préjudice, dont les modalités dépendent du portefeuille de l’actionnaire.

Ainsi, le préjudice peut être valorisé comme une perte de chance (i) sur le mouvement du titre en question (perte de la chance d’acquérir le titre à moindre frais ou de le céder à tarif prix plus onéreux), et/ou (ii) sur la réalisation d’un investissement alternatif.


Dans ce dernier cas, il appartient au demandeur d’évaluer la différence entre la plus-value latente effectuée sur ce titre, et la plus-value latente dégagée sur l’ensemble de son portefeuille (éventuellement corrigé pour conserver un niveau de risque homogène sur le portefeuille – selon la théorie du Portfolio de Markowitz).


Bien que ces deux logiques soient propices à des actions collectives dans le cas où les actionnaires sont représentés par des investisseurs institutionnels (dans ce type de contentieux les juges ont d’ailleurs tendance à allouer une somme forfaitaire identique à chaque actionnaire), la première s’y prête davantage pour des investisseurs particuliers.

Disons, pour conclure, un mot de la démonstration du lien de causalité qu’il est possible de nourrir par une analyse économique toutes choses égales par ailleurs.


Cette analyse (dite event studies methodology). consiste en la reconstitution du cours de bourse qui eût dû avoir été celui de l’action, n’eût été la faute à partir de l’analyse de l’évolution de société côté comparables (même coefficient bêta) non impactée par la faute.


Conclusions


Fréquemment des scandales économiques rappellent qu’il existe un préjudice propre à l’actionnaire, indépendamment de la société dans laquelle il a une détention (qu’elle soit côté ou non).


Ces préjudices constituent pour l’essentiel des pertes de chance de réaliser de meilleures plus-values sur l’investissement considéré, ou un investissement alternatif (au cas où une parfaite information aurait dissuadé une acquisition).


Aussi requiert-ils de l’expert des connaissances spécifiques en matière d’évaluation (de portefeuilles) de titres.




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