L’essor de l’activisme actionnarial en Europe – gare à la fin de commandite !
Vous avez peut-être entendu parler de la fin du contrôle en commandite d’Arnaud Lagardère sur son groupe, ou, le mois précédent, de la révocation d’Emmanuel Faber de son poste de président-directeur général de Danone.
Dans les deux cas, des fonds activistes étaient à l’origine de l’action.
Retour sur la traversée de l’Atlantique d’un rêve américain.
« Les eaux troubles rendent la pêche plus facile »
Les eaux européennes sont-elles toujours poissonneuses ? Si, comme le clame fièrement Carson Block « les eaux troubles rendent la pêche plus facile », les fonds activistes ont écumé le Vieux Continent ces dernières années.
Dernière prise en date : Solutions 30. Un rapport anonyme, prétendant révéler des pratiques de blanchiment ainsi que des liens de Solutions 30 avec des pontes du crime organisé avait fuité tout début décembre 2020.
Quelques jours plus tard, un fonds récemment entré au capital, avait exprimé publiquement ses craintes vis-à-vis dudit rapport.
Quelques heures plus tard, le doute était né. Et le cours de l’action de Solutions 30 s’est effondré de 19,85 euros par action le 8 décembre à 9,175 euros par action le 15 décembre.
Notre fonds, Muddy Waters en l’espèce, a réussi son coup, et empoché plusieurs millions sur al vente à découvert des titres de Solutions 30.
Quatre mois après les faits, et malgré les conclusions favorables d’un audit externe de près de trois mois, le cours de ces titres n’est jamais revenu à son niveau historique.
De simples lettres ouvertes de Muddy Waters - interrogeant l’identité des auditeurs - ont d’ailleurs suffi à faire replonger le cours de Solutions 30. Le soupçon est facile à jeter mais difficile à lever. Les fonds activistes le savent et joue.
C’est même leur fonds de commerce.
Des relations de relations commerciales troubles, un changement de méthode comptable, l’arrêt – même licite - de la publication des comptes d’une filiale, une restructuration de la dette, la création de nouvelles sociétés, etc., constituent autant d’éléments qui, portés par une bonne communication, suffisent à faire douter – voire paniquer – le marché.
Les fonds activistes associent deux enclumes au marteau du soupçon : la performance (parfois comparée à celle du leader du secteur – comme l’a fait Elliott Management avec Pernod-Ricard) et l’éthique / la compliance (qu’il s’agit de soupçons de blanchiment, de corruption ou d’infraction aux normes comptables, notamment en dissimulant des pertes ou en survalorisant des actifs).
Cette stratégie, basée sur les ambiguïtés de la communication financière des sociétés cotées, est réglée comme du papier à musique, du côté des fonds activistes qui opèrent depuis de nombreuses années aux États-Unis.
Les intéressés ne font d’ailleurs pas secret de leurs méthodes mais prétendent que l’activisme actionnarial permet d’améliorer les performances financières des entreprises ciblées, et profite donc à l’ensemble de l’économie.
Les études théoriques comme empiriques ne parviennent pas à un consensus sur le sujet.
L’activisme selon Carson Block
La position de Carson Block, fondateur de Muddy Waters, dans ce débat est un peu plus originale. L’activiste considère que son métier évolue en deux temps.
Lorsque le marché est jeune (comprendre lorsque les entreprises sont peu habituées à l’activisme actionnarial), la pratique est toujours profitable puisqu’elle porte sur des éléments financiers évidents (gros différentiel de compétitivité / de performance par rapport à un concurrent) ou des fautes éthiques graves.
La dénonciation de ces turpitudes permet, in fine, d’améliorer la performance opérationnelle des sociétés ciblées.
A mesure que le marché gagne en maturité, les cibles de ce type se raréfient et les activistes portent davantage leur critique sur les mécanismes de gouvernance (notamment la politique de distribution de dividendes) ou sur l’ingénierie financière (la société sert-elle un assez bon levier à ses actionnaires ?), dont les effets à terme sont plus contestables.
Davantage de dividendes et un levier plus fort permettent, en effet d’optimiser le gain des actionnaires à très court terme, mais pas forcément d’améliorer la performance de la société à moyen terme.
Or, le marché américain vieillissant, il est tout à fait logique – et même souhaitable – que les fonds activistes se soient tournées vers les économies européennes (et, en particulier, continentales) qui, en plus de ne pas avoir l’expérience de l’activisme, présentent des cultures actionnariales traditionnellement peu enclines au conflit et à la remise en cause des choix managériaux.
Soit. Reste que, sauf à un mondialisme béat, il n’est pas possible de transposer les actions de fonds américains sur leur économie domestique, aux actions de ces mêmes fonds sur une économie étrangère (et potentiellement concurrente).
D’autant qu’il existe différents types de fonds activistes. Et que, à ce jeu-là, Muddy Waters, est plutôt à ranger dans la catégorie des moins dangereux.
Le bon, la brute, et le truand
La stratégie de vente à découvert adoptée par Muddy Waters signifie certes que ce fond vise à faire baisser la valeur boursière des sociétés dans lesquelles il entre au capital, mais elle signifie également que Muddy Waters n’a pas spécialement d’intérêt à redresser la société.
Il s’agit donc davantage d’influencer les actionnaires – quoique l’on pense du procédé – que d’influencer la société elle-même.
Plus pernicieux sont les fonds – qui à l’instar de Bluebell Capital – ont des stratégies de pompiers pyromanes. A l’inverse des précédents, ces fonds visent à réaliser une plus-value à la revente des participations qu’ils détiennent dans leur cible.
Pour ce faire, ils entrent généralement au capital après ou pendant une première campagne qui vise à faire baisser la valorisation boursière de la société (les arguments / prétextes sont similaires à ceux de Muddy Waters, bien que les arguments d’ordre stratégiques et financiers soient privilégiés par rapport aux arguments réglementaires).
Dans un second temps, ces fonds proposent – sous la pression d’un cours de bourse en baisse – des solutions aux dirigeants de la société en difficulté qui passent généralement par des réductions de coûts et la révocation d’anciens dirigeants (qui sont les moyens les plus simples de provoquer le rebond du cours souhaité pour réaliser la plus-value).
Ces procédés peuvent avoir des impacts sévères sur l’entreprise prise pour cible.
Concernant le cas Danone, dans lequel Bluebell Capital et Artisan Partners ont récemment obtenu la révocation, d’Emmanuel Faber, ancien président-directeur général du groupe, les fonds activistes souhaitent notamment optimiser les performances de la société en procédant à une restructuration du groupe.
Cette dernière impliquait notamment cession par le groupe de toutes ses filiales locales suiveuses dans la production d’eau – qualifiées par Bluebell Capital Partners de marques faibles - afin de se concentrer sur les marchés sur lesquels Danone il est déjà leader.
Emmanuel Faber défendait, pour sa part, une stratégie de croissance plus diversifiée.
Au-delà des considérations financières, chacun comprend que, d’un point de vue géopolitique, la cession du contrôle de points d’eau dans des dizaines de pays constitue, sans nul doute, une perte stratégique majeure pour Danone.
Est-ce dire que des concurrents (états ou pays) pourraient se servir de l’activisme financier pour forcer un groupe à œuvrer dans leurs intérêts ?
L’attaque de Pernod- Ricard par le fonds Elliott Management en 2019 a, en tout du moins, laissé croire nombre d’observateurs à un activisme de commande.
Au fil des réunions de travail organisées avec l’actionnariat (familial) majoritaire de Pernod-Ricard après sa prise de participation, Elliott Management aurait recommandé, à plusieurs reprises, un rapprochement avec son rival londonien Diageo (au détriment de son autre rival, français, LVMH).
La tournure géopolitique de l’affaire a été telle que l’actionnariat Pernod-Ricard a été reçu par l’État Français et que le siège social du groupe avait été fouillé par les DGSE. L’État pilote d’ailleurs, au sein de la BPI, un projet « silver lake » visant à soutenir les champions français victimes de fonds souverains ou activistes.
Conclusions
L’activisme actionnarial, recouvre donc des réalités diverses, et est loin d’être aussi strictement et innocemment intéressé par les seules questions monétaires que certains le croient ou aimeraient à le faire accroire.
En tout cas, les vulnérabilités bien réelles des sociétés cotées françaises à cet activisme actionnarial doivent instamment être corrigées, sous peine de menacer la souveraineté de décision de ces groupes.
Plusieurs lignes de défenses doivent être dressées.
A court terme, il s’agirait d’anticiper les manœuvres des activistes afin d’être capables d’y répondre à la volée (en produisant une étude indépendante en soutien, afin de rassurer l’actionnariat avant la panique boursière) ou encore de verrouiller la communication financière en profitant des différences de législation (ce que ne manquent d’ailleurs pas de faire des groupes américains) .
A plus long terme, « est maître des lieux qui les organise » cela pourrait passer par une redéfinition des contours des obligations de communication financière européenne (ou, a minima, par l’abaissement des seuils de franchissement au-delà desquels un actionnaire est tenu de déclarer sa prise de participation ; ces seuils sont particulièrement élevés en France).
A défaut, l’activisme actionnarial pourrait devenir le cheval de Troie de l’ingérence financière américaine, à l’image de ce qu’est le dollar pour l’extraterritorialité du droit américain.
Nous nous retrouvons dès vendredi prochain pour de nouveaux regards économiques sur l’actualité du droit.
