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Le préjudice du dirigeant révoqué

Dernière mise à jour : 17 avr. 2021

Vous avez probablement entendu la révocation d’Emmanuel Faber de ses fonctions de président directeur général de Danone la semaine dernière ; révocation que la bourse n’a pas manqué d’approuver brillamment.


Les différences de vues stratégiques entre Emmanuel Faber, et certains de ses actionnaires – les fonds d’investissement Artisan Partners et Bluebell Capital Partners en tête – étaient un secret de polichinelle.


En surface de dissension plus profondes (Emmanuel Faber souhaitait que Danone conserve la plupart de ces positions à l’international tandis que les fonds d’investissements souhaitaient que le groupe se recentre sur ses positions de leader), l’érosion des parts de marché de Danone à la suite de la crise du Covid-19 a été avancée.

Dans le contexte de crise actuel, intensifiant les tensions, les prétextes à la révocation du dirigeant sont tout trouvés.


Mais dans quelle mesure ce dernier pourrait-il se prévaloir d’un préjudice ?


Qu’est-ce qu’une révocation ?


Sauf disposition statutaire particulière ou pacte d’associé (dans le cas d’un dirigeant associé), tout dirigeant est révocable sur décision du de l’organe de gouvernance habilité (assemblée générale ou conseil d’administration le cas échant).


Les modalités de révocation peuvent également être fixées par disposition statutaire.

Parmi les dispositions les plus classiques figurent :

  • La révocation ad nutum qui permet une révocation sans motif, ni préavis, et avec une indemnité strictement contrôlée : elle ne doit faire obstacle à la révocation de par son montant, et ne peut-être accordée en cas de faute grave (la philosophie de ce type de révocation était originellement d’être dépourvue d’indemnité).

  • La révocation pour juste motif être fondée, comme on peut l’imaginer, sur un juste motif et, à défaut dudit juste motif, le dirigeant révoqué peut obtenir des dommages et intérêt (mais pas l’annulation de sa révocation qui constitue le strict droit des actionnaires).

Est considéré comme un juste motif, une faute grave (harcèlement moral par exemple) ou une faute de gestion (détournement de fonds par exemple) mais aussi des divergences stratégiques ou une perte de confiance envers les dirigeants pour peu qu’elle soient fondées sur des éléments objectifs et risque de compromettre le fonctionnement de la société.


L’octroi d’une indemnisation en cas de révocation illicite appartient au pouvoir souverain du juge, sans recours à l’expertise, et sous l’égide la Cour de Cassation.

Cette dernière précise que l’octroi de dommages et intérêts à ce titre ne relève en aucun d’une réparation (en récompense, par exemple, des bénéfices qu’aurait apporté le dirigeant à la société).


Ces deux formules de révocations sont plus courantes, mais rappelons que d’autres modalités de révocation sont possibles – à la discrétion des actionnaires, dans la mesure où les conditions statutaires fixées n’entravent pas leur liberté de révoquer.

La loi est muette sur les modalités de révocation. En l’absence de conditions statutaires particulières, il est donc possible pour les actionnaires de réaliser une révocation ad nutum.


Les préjudices du dirigeant

Si la révocation, même illicite ou infondée, constitue le droit le plus strict des actionnaires (et ne saurait donc être remise en cause par le dirigeant), on considère classiquement que la société est tenue à une obligation de loyauté envers son dirigeant.


Cette obligation de loyauté relève une fois encore de l’appréciation des juges et des Cours, mais peuvent comprendre, outre le respect des obligations statutaires, ou le respect d’une certaine procédure.


Cette procédure consiste essentiellement en le respect :

  • de la dignité du dirigeant : la révocation ne doit pas être réalisée dans un climat de calomnies, de pression ou d’humiliation (notamment dans le cas où elle survient après l’échec des actionnaires de pousser un dirigeant à la démission) ;


  • du contradictoire : un dirigeant révoqué est en droit de connaître les motifs de la décision des actionnaires et d’en discuter avec eux avant que ladite révocation ne soit entérinée.


Le non-respect de cette procédure est sanctionné de dommages et intérêts au titre du préjudice moral.


Consécutivement à la révocation se pose les problématiques émergentes de (i) cession des actions du dirigeant révoqué et (ii) de l’application de sa clause de concurrence.


Le rachat forcé des actions

La cession forcée des actions du dirigeant (à la société ou un actionnaire) est une disposition qu’il est tout à fait possible d’intégrer dans des statuts ou un pacte d’actionnaires. Pour être parfaitement licite, le prix des actions ne doit toutefois :

  • ni être risible, ce pourquoi il convient de mesurer très précisément les décotes appliquées ; dans le cadre de clauses de Good Leaver / Bad Leaver (ces clauses, applicables dans le cas où le dirigeant n’est pas également salarié, différencient la valeur de rachats des actions en fonction des résultats obtenus par le dirigeants et du respect de ses engagements) ;

  • ni être trop onéreux, au risque de dissuader l’actionnaire de procéder au rachat et donc de réduire son pouvoir de révocation du dirigeant.

La valeur d’une société évoluant au gré de ses performances, les prix des actions définis par ce type de clause sont très rarement indiqués en valeur absolue, mais plutôt au moyen d’une formule indexée sur la valeur de la société ou sur certains de ses agrégats financiers.

C’est pourquoi, les experts financiers sont très souvent sollicités sur l’interprétation de telles clauses et la valorisation des actions de la société.


Précisons que les révocation de dirigeants ne sont pas plus rares en start-up, lesquelles sont ;parfois soumises à d’intenses mouvements de capitaux pour assurer leur financement. Les fonds d’investissements exigent parfois la révocation de certains dirigeants / la sortie de certains actionnaires (souvent de membres du management peu opérationnels dans les faits) avant d’entrer au capital.


Or l’évaluation d’une start-up est un exercice particulier qui repose davantage sur la valorisation d’un potentiel que de résultats (peu de chiffre d’affaires, parfois pas de rentabilité).


En pratique, les experts financiers recourent à des méthodes de valorisation par les options réelles (modèle de Bates, modèle de Black & Scholes, etc. ) ; déjà évoqués dans nos colonnes concernant la modélisation de la perte de chance (dans cet article).

Je renvoie les plus financiers d’entre vous vers l’article séminal du professeur Levasseur, concernant l’évaluation de Start-up (ici).


L’impact d’une clause de non-concurrence après une révocation


La rupture d’une éventuelle clause de non-concurrence - rappelons d’ailleurs que celle-ci est valable dans la mesure où elles est proportionnée, et limitée dans le temps, l'espace et dans son objet – peut faire enter l’affaire sur le terrain de la concurrence déloyale. Et ce d’autant plus si ladite rupture se couple à un débauchage de la part d’un concurrent.

Toujours est-il que le préjudice pourrait alors s’évaluer à l’aune de la marge sur coûts variables perdue du fait de la violation de cette clause, ou, au contraire, à l’aune de la faute lucrative du concurrent.


Toutefois, le dirigeant peut contester la validé d’une clause de non-concurrence consécutive à une révocation illicite et peut même se prévaloir d’une indemnisation du manque à gagner subi pour peu qu’il estime avoir été contrait de respecter la clause invalide (de peur de devoir des dommages et intérêts substantiels).


Conclusions


Le préjudice économique du dirigeant, souvent lié à sa révocation illicite, occupe une place singulière dans le dispositif législatif français.


A titre principal, il relève de l’appréciation souveraine du juge sous l’égide de la Cour de Cassation qui insiste sur le caractère moral de l’indemnité de révocation, et interdit toute analyse économique.


Les préjudices incidents liés à l’application (illicite) de clauses de rachat forcé d’actions ou de non-concurrence, relèvent, davantage d’une approche économique et financière.

L’expert financier est alors d’une aide précieuse dans la valorisation des actions d’une société, ou dans le chiffrage d’un préjudice de concurrence déloyale.




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