Comment faire financer un contentieux ?
Dernière mise à jour : 17 avr. 2021
Chères toutes, chers tous,
Nous regrettons tous de beaux dossiers qui n’ont pu sortir faute de financement ; tout particulièrement lorsque la stratégie avérée de la partie adverse consistait exclusivement à jouer l’usure financière.
ça nous est encore arrivé dernièrement. Le mois dernier, nous nous sommes donc saisis de nos bâtons de pèlerins afin de nouer des partenariats avec de célèbres tiers financeurs européens.
Nous partageons, dans ce billet, la substantifique moelle des échanges que nous avons eus avec eux.
J’espère que ces quelques informations seront utiles à faire valoir les droits de vos clients ou les vôtres.
Le financement de contentieux par un tiers, c’est quoi déjà ?
Le financement de contentieux par un tiers (ou Third party funding) consiste en la prise en charges des frais de procès d’une des parties (essentiellement les frais d’avocats, d’experts techniques et d’experts financiers) par ce tiers.
Ces financement sont la prérogative de fonds d’investissement internationaux spécialisés en la matière.
Cette pratique, née dans certaines régions d’Australie à la suite de diverses innovations législatives dans les années 90, s’est réellement développée à partir du milieu des années 2000 en Australie (où les frais de justices sont particulièrement élevés), et au début des années 2010 aux États-Unis et en Grande-Bretagne. [pour aller plus loin sur la perspective historique]
Encore élitiste en France (car réservé aux arbitrages internationaux, et aux actions antitrust d’envergure), le financement par un tiers n’en a pas moins connu un développement rapide ces dernières années.
Au point qu’à Paris, des acteurs indigènes côtoient désormais les antennes de certains des plus gros fonds dédiés au financement de litiges.
Quels sont les dossiers examinés ?
Originellement, les tiers financeurs se sont concentrés sur le financement de voies d’exécutions dans la cadre de contentieux d’actionnaires, puis d’arbitrages commerciaux et d’investissements.
Ils ont depuis étendus leur activités aux actions de groupe (class actions) et aux procédures de private enforcement (à la suite de décisions d’Autorités de la Concurrence, des marchés financiers, ou d’autres organismes de régulation).
Si certains sont d’ores et déjà spécialisés, ils restent pour la plupart souples quant à la nature du contentieux financé et sont prêt à examiner un dossier s’il est bien documenté et entre dans leurs critères financiers.
Enchaînons sur ces critères financiers.
En premier lieu, les tiers financeurs examinent tous le ratio entre (i) le budget financé et (ii) les réparations raisonnablement atteignables dans le cadre du contentieux. Ce ratio doit être généralement de 1/10.
Certains tiers acceptent toutefois de financer des affaires sur la base de ratio de 1/7, voire 1/5 (sur la base de ce ratio il s’agit généralement de financer les voies d’exécution de sentences et de jugements rendus).
En second lieu, certains tiers financeurs exigent un ticket d’entrée minimum en matière de budget financé ou de réparation espérée.
Ces tickets d’entrées sont variables en fonction de tiers financeurs et des affaires, mais correspondent peu ou prou, à des budgets minima de quelques centaines de milliers d’euros à plusieurs millions pour les fonds les plus importants (mettons de 300.000 à 3.000.000 d’euros).
Comment sont sélectionnés les dossiers ?
En règle générale, les équipes internes des tiers financeurs (composées d’anciens arbitres, avocats et experts financiers, rompus aux procédures judiciaires et aux arbitrages) examinent seules l’intégralité des dossiers qui leur sont soumis.
Il arrive toutefois à certains tiers de s’adjoindre des experts externes pour parfaire leur avis d’investissement.
Quoiqu’il en soit, les tiers financeurs examinent cinq éléments :
le fond de l’affaire : le fond de l’affaire est essentiellement examiné pour se faire un avis sur les fondements de la demanderesse (reconventionnelle), et de la recevabilité de sa réclamation. Les tiers financeurs s’y intéressent également parfois pour s’assurer du caractère éthique de leur financement.
la stratégie contentieuse : elle comprend l’examen des démarches déjà engagées (but de ses démarches, résultats obtenus, capacité d’autocritique), puis celui de la stratégie qui serait mise en œuvre en cas de financement. Il convient de ne pas négliger la phase rétrospective, qui est souvent décisive dans le cadre de financement de voies d’exécutions).
l’équipe-conseil : au-delà de la réputation et du track-record de l’équipe (et en particulier du conseil juridique qui en constitue la figure de proue), les tiers financeurs examinent l’investissement dans le dossier et la complémentarité de l’équipe (rappelons que l’essentiel de l’activité des tiers financeurs portent sur des arbitrages internationaux pour lesquels le triptyque avocat-expert technique – expert financier est un standard).
les perspectives de recouvrement :les perspectives de recouvrement s’apprécient notamment à partir du délai normatif de la procédure, des possibilités ménagées par la juridiction impliquée, des voies d’exécution et de recouvrement pouvant être empruntées (possibilité d’exequatur, de cession de la créance… etc.) et de la capacité financière du fautif à payer les réparations.
le budget : enfin, à l’instar de tout investisseur classique, le tiers financeur apprécie la cohérence du budget et la destination des fonds mis à disposition.
Précisons que la France se caractérise par un flou juridique sur la question du TPF, et que certaines réticences déontologiques subsistent. Il s’agit d’un point à ne pas omettre lors de la présentation d’un dossier à un financeur étranger, notamment anglo-saxon.
Pour en savoir plus sur les aspects juridiques liés au TPF, je ne saurai que trop vous renvoyer à l’excellente étude comparée des modèles français et singapouriens publiée récemment par messieurs Alain Grec et Olivier Marquais [pour accéder à l'article].
En général, les tiers financeurs demandent à l’équipe-conseil de présenter le dossier dans une note écrite comprenant les différents éléments cités supra.
Une note de l’avocat est indispensable ; des avis d’experts techniques et financiers sont fortement conseillés (certains font refusent catégoriquement un dossier en leur absence, d’autres conditionnent leur acceptation à la tenue d’un appel d’offre pour s’adjoindre de tels experts).
Les tiers financeurs n’attendent pas de format de rendus écrits précis, et bien souvent, n’exigent pas explicitement les critères cités plus haut. Il s’agit d’une méthode de sélection des dossiers.
En plus de ce dossier écrit, les tiers financeurs demandent bien évidemment des échanges avec la demanderesse de financement et ses conseils.
Le délai de prise de décision d’investissement est variable ; cette dernière pouvant être prise en quelques semaines (4 à 8) par les fonds les plus rapides pour les dossiers les plus solides, jusqu’à quelques mois.
Chaque tiers financeurs ayant un processus décisionnel particulier, il est difficile de donner une moyenne (je vous invite à me contacter si vous souhaitez des informations particulières) mais un délai de 3 mois pour un dossier bien monté parait raisonnable.
A quelles conditions ?
Sauf cas particuliers, les tiers financeurs supportent l’intégralité du risque de leur investissement ; c’est-à-dire que les fonds sont accordés comme une avance, non-remboursable par le demandeur en cas de perte du procès.
En cas de victoire, un mécanisme de rémunération est activé. Il comprend souvent deux volets :
A titre principal, une rémunération par multiple du budget financé (souvent deux à trois le montant) en fonction du positionnement du fonds, du délai de l’action et des conditions négociées ;
A titre subsidiaire, une rémunération indexée sur le montant des réparations obtenues (souvent moins de 5%).
Les tiers financeurs sont très flexibles dans leurs conditions de rémunérations et peuvent tout aussi bien proposer un simple multiple, qu’une rémunération combinée entre part fixe, variable par multiple et variable indexé sur le montant des réparations obtenues.
Ils communiquent généralement peu sur le montant de leur rémunération, certes très fluctuant selon les cas d’espèces. Néanmoins, si l’ont considère une limite haute, la rémunération combinée pourrait s’approcher d’un multiple de quatre fois le montant financé.
Sachant que ce montant représente logiquement moins de 10% des réparations pouvant être obtenues, la rémunération totale du fonds n’excéderait pas 40% de la somme récupérable.
Précisons enfin que, si les tiers financeurs exigent un droit de regard sur les décisions prises par l’équipe-conseil, il sont tout à fait ouvert à l’abandon d’un procédure pour un règlement à l’amiable (pour peu que l’accord leur permette de rentrer dans leurs frais).
Cet accord est même préférable pour eux, dans la mesure où il diminue le délai de la procédure et permet un réinvestissement plus rapide des fonds.
Conclusions
Le financement d’un litige par les tiers constitue donc un outil sur-mesure, dont l’efficacité est éprouvée dans le monde anglo-saxon et de mieux mieux accueilli en France. Il s’agit d’une ressource puissante, à laquelle les avocats et les experts devront acquérir le réflexe à recourir à l’avenir.
Nous nous tenons à votre disposition si vous souhaitez en savoir plus sur le possibilités de financement offertes par une affaire précise.
