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La Blockchain, nouvel eldorado juridique ?

Dernière mise à jour : 17 avr. 2021


Chères toutes, chers tous,

Alors que le Bitcoin joue les montagnes russes à des sommets historiques, nous avons une occasion toute trouvée de faire un point sur les applications juridiques de la Blockchain. Et dire qu’elles ne jouissent pas du même succès que leur homologue monétaire relève de l’euphémisme…

Il y a un an, ce mariage ente technologie et droit se présentait pourtant sous les meilleurs auspices ; et tout particulièrement en France, où le gouvernement s’était montré prompt à se saisir du sujet.

Convenons que la promesse était alléchante : un contrat intelligent portant sa propre exécution. Nécessité eût fait loi : plus de contentieux relatifs à l’exécution du Contrat, plus de difficultés de recouvrement, plus d’assurance… Bref, ni incertitude ni intermédiaire.

Un an plus tard, la promesse est restée une promesse et n’engage toujours que ceux qui y croient. Quand le bât blesse-t-il ? Dès les prémices et principes, nous semble-t-il.

Reprenons les bases.

Un rêve walrasien

Juillet 1954. Les économistes Kenneth Arrow et Gerard Debreu démontrent mathématiquement l’existence d’un équilibre général en économie de marché [lien source], sous des conditions restrictives parmi lesquelles la concurrence pure et parfaite (c’est-à-dire la libre circulation des facteurs de production, alliée à une information parfaite).

Victoire à la Pyrrhus s’il en est : Arrow et Debreu démontrent en même temps l’existence mathématique de l’équilibre général de l’économie de marché, et l’impossibilité de l’atteindre à partir d’une économie traditionnelle.

L’information parfaite exige, par exemple, que chaque acteur du marché puisse obtenir librement et immédiatement une connaissance exhaustive du marché ; exigence évidemment impossible à remplir, en témoignent les récents scandales de délits d’initiés, ou l’abondante littérature portant sur l’asymétrie d’information.

Or, la réponse néoclassique à l’asymétrie d’information / au délit d’initié, qui consiste à introduire un « commissaire-priseur » (ou tiers de confiance) dans chaque bourse, a longtemps été tenue pour irréaliste eut égard au volume des échanges et à la complexité des informations.

Le paradoxe des généraux byzantins

Développons quelque peu : eu égard au volume des échanges dans notre économie, l’introduction d’un tiers de confiance dans chacun d’eux impliquerait des coûts de transactions colossaux.

D’autant que la notion de confiance a des déterminantes culturelles : À quel tiers accorder confiance lors de la création d’une joint-venture surinamaise entre une société américaine et une entreprise chinoise ? Dans quelle mesure les lois et interprétations surinamaises, américaines et chinoises doivent-elles être prises en compte avant la conclusion de la transaction ?

En pratique, les agents économiques exigent certaines diligences techniques et financières, mais acceptent un certain niveau d’incertitude et de risque dans l’échange.

Ils réservent généralement l’intervention d’un tiers de confiance aux seuls cas de contentieux. Et le processus est souvent laborieux (en arbitrage par exemple, l’arbitre est parfois désigné par un collège de deux agents, eux-mêmes préalablement sélectionnés par les parties antagonistes, selon un processus qui peut s’étirer sur plusieurs mois).

Il s’agit toutefois d’une commodité, sinon d’un luxe, qui n’est possible que parce qu’en économie réelle, les parties échangent des accord oraux avant la signature des contrats, qu’ils traitent souvent sous des lois communes et que les litiges sont relativement rares.

Cette commodité n’existe pas en économie numérique, mettant en relation deux parfaits inconnus. Dans ce cadre, un tiers de confiance est systématiquement exigé afin d’empêcher toute manipulation liée à la maîtrise technologique (par exemple le double paiement).

Toute la clairvoyance d’Amazon, de PayPal et d’eBay est d’avoir perçu ce besoin dès les débuts de l’internet 2.0.

Ce constat a été théorisé sous le nom de paradoxe des deux généraux.

Supposons que deux armées alliées campent sur les flancs d’une armée antagoniste, et que seule une frappe synchronisée peut leur donner la victoire.

Le bon sens exige qu’un des généraux envoie une missive pour informer son homologue de la date et du lieu de la frappe. Néanmoins, le bon sens exige également de l’autre général qu’il confirme que son homologue a reçu sa confirmation à la proposition de frappe, et réciproquement.

Seul un tiers facilitateur (des signaux de fumée par exemple) peut mettre fin à cette situation d’attente interminable. Tout moyen de communication est donc un facilitateur, mais il ne répond pas nécessairement à un second impératif de fiabilité.

Considérons, la seconde formulation du paradoxe : Cette fois, plusieurs généraux byzantins doivent élaborer un plan de siège synchronisé pour prendre un bastion ennemi.


Parmi, ces généraux, certains peuvent être des traîtres. Le problème est donc le suivant : comment élaborer un plan synchronisé malgré les traîtres (c’est-à-dire en assurant la fiabilité des informations) ?


La promesse de la Blockchain

C’est au moment de résoudre ce paradoxe des généraux byzantins que nous raccrochons les wagons avec la blockhain.

Son principe est le suivant : chaque agent produit des informations et le protocole de production de ces informations dans un registre librement consultable et non annulable par la communauté des agents.

Les informations partagées sont cryptées et validées par référence à d’autres données cryptées, de sorte qu’une information produite par un protocole incorrect (traître) sera détectée.

Cette astucieuse combinaison de technologies, imaginée pour créer le Bitcoin en 2008, permet ainsi :

  • d’échanger directement et presque immédiatement une grande quantité de données (technologie P2P, combinée à la fibre optique) ;

  • de chiffrer et de sécuriser les données transmises (cryptographie) ;

  • d’agréger, de traiter et de restituer rapidement l’information chaque acteur (big data).

En d’autres termes, la blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, sécurisée et transparente, fonctionnant sans organe central de contrôle.

Il s’agit d’un registre, accessible au public ou tenu privé, permettant aux utilisateurs de consulter l’historique, ultra-sécurisé et validé contradictoirement, de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création.


Concrètement, ce registre est une chaîne de blocs d’informations (transactions, stockages, transferts de propriété, etc.), liés les uns aux autres.

Si les applications juridiques en termes d’authenticité d’une signature (électronique) sautent aux yeux, la technologie blockchain va bien plus loin en ce qu’elle permet d’assurer l’exécution d’un ordre simple (un transfert de cash par exemple).


De ce fait, elle permet de développer des programmes autonomes (smart contract) permettant de garantir l’exécution d’un contrat dès sa signature (concernant un trade par exemple).

Dans le cas de contrats complexes (une assurance par exemple), une autre blockchain (appelée oracle dans le jargon) peut faire office de tiers de confiance (par exemple une blockchain d’échange entre virologues pour statuer sur une l’occurrence d’une pandémie contre laquelle une partie se serait assurée).

Mais alors où le bât blesse-t-il ?

L’aporie hobbesienne

Au-delà des considérations techniques (une blockchain est d’autant plus sécurisée, qu’elle est décentralisée et donc que ses participants sont nombreux), la blockchain est intrinsèquement auto-limitée.

L’exécution automatique d’actions simples (informatisées) est une chose, la capacité de faire respecter une action complexe (ne serait-ce que l’envoi d’un produit par la poste) en est une toute autre.

Toute la différence entre les cryptomonnaies et les applications juridiques de la blockchain réside dans cette capacité à offrir une garantie exogène.

Le Bitcoin s’échange à des dizaines de milliers d’euros car les acteurs ont confiance dans les possibilités de le revendre à meilleur prix. La promesse d’une monnaie déconnectée de toute turpitude politique est en effet très puissante, notamment en des temps incertains (c’est d’ailleurs pour cela que le Bitcoin attire désormais les investisseurs de la même manière que le fait l’or : en tant que valeur refuge).

En droit, la garantie à apporter est toutefois d’un autre ordre. Il s’agit de pouvoir forcer l’exécution d’un contrat (le respect d’une loi), ou du moins d’obtenir réparation. La garantie est donc fondée sur la crainte de la sanction.

Permettons-nous une petite digression philosophique : Hobbes a précisément expliqué, la création du Léviathan, c’est-à-dire d’un pouvoir centralisé (le contraire de la Blockchain), par la seule question de la garantie. Un pouvoir centralisé, dispose en effet la force de faire respecter les règles mutuellement convenues par les citoyens : lorsqu’un individu enfreint les règles, le Léviathan est suffisamment puissant pour lui imposer de réparer les dégâts causés (sous peine d’amende ou d’emprisonnement…).

Ce costume, taillé à la mesure des États et entités supranationales (autorités de la concurrence notamment), est trop grand pour la blockchain : certes les smart contracts interrompent / invalident automatiquement une mauvaise transaction, mais ils ne réparent pas la totalité du dommage : une transaction annulée a un impact sur toute l’économie de l’agent.

Le second aspect de la réflexion hobbesienne réside dans la capacité de dissuasion (rappelons qu’Hobbes a écrit son œuvre pour légitimer la monarchie britannique, dans la crainte de guerres civiles) : la prévention de comportements frauduleux est indispensable à l’élaboration du socle de confiance de l’économie. Or, à ce stade, le contrat intelligent ne comporte d’autre sanction que son annulation (ce qui n’est pas du tout dissuasif).

De ce fait, la démocratisation des applications de la blockchain, non seulement dans le droit mais aussi dans l’ensemble de l’économie réelle, ne saurait être poursuivie sans volonté politique forte.

Conclusions

Si la blockchain est intrinsèquement limitée en ce qui concerne le droit, elle permet toutefois des évolutions intéressantes en matière d’authentification des signatures ou d’exécution des contrats.

Bien utilisée, elle pourrait donc devenir une commodité précieuse. Mais pas de révolution à l’horizon.

Nous nous retrouvons dès vendredi prochain pour de nouveaux regards économiques sur l’actualité du droit.




#blockchain, #économie, #droit


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