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Les Martiens sauveront-ils Netflix ?

Dernière mise à jour : 30 janv. 2021

Chères toutes, chers tous,


Netflix va-t-il réussir son gambit ? La série du moment dissimule un petit évènement : Netflix, dont l’activité profite pourtant du confinement, n’a pas atteint ses objectifs sur le dernier trimestre.

Alors qu’elle visait une augmentation de 2,5 millions d’abonnés sur la période juillet-septembre, elle n’en a constaté que 2,2 millions de nouveaux utilisateurs.


Les analystes, quant à eux prévoyaient en moyenne 5,4 millions de nouveaux abonnés payants sur la même période afin que la société dégage un bénéfice par action satisfaisant.


Sur le trimestre précédent, et malgré une forte augmentation des abonnements du fait des divers confinements dans le monde, ce bénéfice par action d’ailleurs était ressorti à 1,59 dollar alors que les analystes en attendaient 1,81 dollar (alors même qu’il était en augmentation de 166% par rapport au deuxième trimestre 2019).


Aux yeux des analystes, Netflix ne fait donc pas assez bien, pas assez vite. Mais pourquoi donc ?



Petit exercice d’analyse financière.



Winner takes all


A l’écran comme sur les tableurs, Netflix restera une référence des années 2010. Parti d’une activité déclinante de location-vente à distance de DVD, la société américaine s’est tournée à la fin des années 2000 vers la diffusion de contenu en streaming.


Le deal pour les investisseurs ? Se tailler, à grand coups d’investissements technologiques et marketing, une position si dominante sur le marché qu’elle ne peut être inquiétée.

Il s’agit d’une déclinaison de la fameuse règle du « winner takes all », très applicable à l’économie numérique qui se caractérise par :


- de nombreux effets de réseaux (la valeur d’un réseau social est directement liée à son nombre d’utilisateur, la performance d’une intelligence artificielle est souvent corrélée à sa fréquence d’utilisation, etc.) ;


- et une structure de coûts adaptée (forts coûts fixes notamment sur le développement de l’algorithme, et coûts variables négligeables) ;


- Un marché mondialisé dont les seules limites sont technologiques (l’accès à internet) et éventuellement politiques (en 2021, Netflix devra par exemple investir 20% de son chiffre d’affaires réalisé en France dans des séries Françaises).


L’esprit de cette stratégie est donc de renoncer temporairement à la rentabilité afin de maximiser l’effort d’investissement afin d’atteindre une position hégémonique. Bien évidemment, cette renonciation à la rentabilité immédiate suppose de fortes attentes des investisseurs quant à la rentabilité future.


Au début des années 2010, Netflix a donc multiplié les investissements afin de développer un algorithme puissant (permettant de garantir une forte rétention des utilisateurs sur sa plateforme) et du contenu exclusif impactant (son argument marketing). Le succès a été au rendez-vous : en 2017, Netflix était devenu le mastodonte de la VOD, (contre Hulu ou Peacock), son résultat net augmentation, et son cours de bourse s’envolait.

Le temps des récompenses approchait, quand des multinationales exogènes se sont lancées à fonds perdus sur le marché et ont changés radicalement la donne.

Si cette année les investisseurs ont encore suivi Netflix (l’action a pris 200$ en an), pour combien de temps encore le feront-ils ?


Et, d’ailleurs, quelle part de l’augmentation de l’action Netflix en 2020 s’apparente à une véritable confiance des investisseurs et non pas à un effet d’aubaine dû au confinement.



Fuite en avant sur le contenu


Netflix est, en effet, attaqué sur tous les fronts. Et notamment sur une inflation du prix du contenu sans précédent en raison de l'ouverture des leurs propres plateformes de VOD par des grands producteurs (par exemple Disney +, HBO Max.…etc.), et d’une concurrence féroce sur les droits d'adaptation (en 2017, Amazon a payé 250 millions de dollars pour dériver une série du Seigneur des Anneaux, et cette année Apple a annoncé qu’elle dégagerait 200 millions de dollars pour produire le nouveau film de Scorsese) ou même les fonds de catalogue.


En 2021, cette tendance de fond sera d’ailleurs exacerbée par les effets du confinement sur les tournages.


Sous pression, Netflix n'a pas d'autre choix que d'accélérer ses investissements en production pour amoindrir cette concurrence sur les contenus sans pouvoir la neutraliser.


Selon BMO Capital, Netflix dépensera 17,3 milliards de dollars dans la création de contenu original en 2020 - soit une augmentation de 2 milliards de dollars par rapport à 2019. Ce montant est d’ores et déjà voisin des coûts engagés par un une grosse société de production traditionnelle (à savoir la Time Warner) en 2017.


D'ici 2028, le analyses prévoient même que Netflix dépensera 26 milliards de dollars par an en création de contenu.


C’est bien là que le bât blesse : Netflix cumule de plus en plus la structure de charges d’un distributeur et d’un producteur, mais n’encaisse que des revenus de distribution. Et, il est loin de disposer des ressources d’Amazon, Apple ou Disney.


A ce stade, Netflix finance intégralement ses coûts de production par des dettes (notamment pour ménager la sensibilité d’investisseurs désireux d’obtenir le fruit de l’effort consenti dix ans auparavant). Cette fuite en avant n’est pourtant pas soutenable.


Au 31 décembre 2019, Netflix affichait déjà 14 milliards de dollars de dettes financières à long terme, sans évoquer 11 milliards de dollars de dettes opérationnelles dévolues à la création de contenu (contre 7,5 milliards de dollars de capitaux propres).


Compte tenu de ces 5 milliards de trésorerie, l’endettement net de Neflix était au mieux de 120% (si on inclut dans le calcul, les 11 milliards dettes de contenu ce taux passe à 266%). En d'autres termes, la viabilité de la dette de Netflix dépend entièrement de son cash-flow d'exploitation.


Si l'on considère l'exercice financier 2019, Netflix a enregistré un déficit de 2,8 milliards de dollars en termes de cash-flow opérationnel. En gros, les 2,8 milliards de revenus nets - générés par une moyenne de 152 millions de membres payants (soit 12,20 dollars par adhésion) - n'ont pas couvert les 4,7 milliards de coûts de production de contenu net.



Deal breaker ?


Toute choses égales par ailleurs, Netflix devrait toucher :


(i) 390 millions d'abonnés (soit 2,5 fois ses performances actuelles) pour atteindre un seuil de rentabilité – permettant de stabiliser l'endettement sous réserve que les remboursements de la dette et les coûts de production n’augmentent pas (Hypothèses très optimistes, mais évocatrices : même avec 390 millions d'adhésions payantes, Netflix resterait dans une position délicate.)


(ii) 775 millions d'abonnés (soit 5,1 fois plus que ses performances actuelles) pour autofinancer entièrement une année supplémentaire de contenu, ce qui enclenche un modeste désendettement (75% de la dette de Netflix est à plus de cinq ans).


Considérant, l’investissement de contenu attendu de 26 milliards de dollars (contre 14,4 milliards de dollars en 2019), les coûts nets de production de contenu s'élèveraient à 8,4 milliards de dollars par an. En restant sur la tarif de 12,2 dollars par abonné, Netflix devrait alors toucher :


(i) 682,5 millions d'abonnés (soit 4,5 fois ses performances actuelles) pour atteindre son seuil de rentabilité.


(ii) 1,37 milliard d'abonnés (soit 8,9 fois ses performances actuelles) pour autofinancer entièrement une autre année de contenu et amorcer le désendettement.


Netflix parviendra-t-il à séduire 8,9 fois plus d'abonnés dans un marché hautement concurrentiel, que ceux qu’il a fidélisé sur une décennie dans un marché quasi-monopolistique ? Si douze milliards de Martiens découvrent la plateforme l’année prochaine, peut-être. A défaut, ce ne sera possible.


D’autant plus qu’un certain essoufflement se fait déjà sentir. Au cours du dernier exercice, le nombre moyen de membres payants a augmenté de 23 % (de 124 658 à 152 984 membres) contre 26 % l'année précédente (de 99 234 à 124 658 membres). Parallèlement, le coût net de production de contenu est passé de 2,1 milliards de dollars en 2017 (soit 22 dollars investis par adhésion) à 4,7 milliards de dollars l'année dernière (soit 31 dollars investis par adhésion). À l'avenir, Netflix devra donc toujours investir davantage pour acquérir un nouvel abonné.

Et ce n’est pas la bonne performance de 2020, épiphénomène largement imputable au confinement, qui va changer la donne.



Les leviers d’actions de Netflix


Compte tenu de la concurrence croissante dans le domaine de la VOD, les leviers d'action de Netflix pour faire face à cette situation sont assez limités :

(i) Augmentation du prix de l'adhésion : jusqu'à récemment, c'était l'action principale de Netflix (le prix moyen payé mensuellement est passé de 9,4 à 10,8 dollars) mais il semble plus difficile de poursuivre cette politique dans un marché désormais contesté par Amazon, Apple, Disney et Warner.

(ii) Suppression des multicomptes : En supprimant les multicomptes, Netflix pourrait doubler le nombre de ses membres payants, mais ce serait une mesure impopulaire et risquée dans un contexte de guerre commerciale.

(iii) Revente des droits de diffusion : Netflix pourrait vendre certains droits aux diffuseurs locaux afin de générer des revenus supplémentaires, mais cela impliquerait de réduire son catalogue de contenus exclusifs (ce qui est un argument de différenciation massif pour les plateformes de VOD, sur lequel Amazon attaque de plus en plus fort).

(iv) Migration vers un modèle AVOD : Sans parler de la publicité classique sur le web - qui est inconcevable dans un modèle basé sur l'abonnement -, de la publicité cinématographique (placement de produits, et/ou publicités de haute qualité) pourrait être envisagée.

(v) Optimisation du coût de production : Au premier trimestre 2020, Netflix a considérablement amélioré son cash-flow d'exploitation, en allongeant le paiement de ses fournisseurs de contenu et (+258 millions de dollars). Dans un contexte de guerre des contenus, la sérénité d'une telle stratégie reste à voir. Le calibrage du contenu et l'internationalisation de la production sont d'autres moyens intéressants de réduire les coûts.

(vi) la marque blanche : la réalisation de contenu pour d’autres canaux de distribution permettrait à Neflix de rééquilibrer son modèle de distributeur-producteur, mais affaiblirait sa force de frappe en termes de production de contenu exclusif.



Conclusions


En bref, Netflix est actuellement totalement dépendant de ses créanciers. La viabilité de sa dette reposera sur (i) sa capacité à développer de véritables revenus de producteur tels que les droits de diffusion, les placements de produits ou la production en marque blanche (ii) l’optimisation des coûts de production de contenu – ou (iii) accidentellement, sur quelques milliards de Martiens.


Même en cas de stabilisation de son modèle, Netflix ne parait pas avoir les moyens financiers de lutter avec Amazon, Apple, Warner et Disney sur le long terme si ces derniers poursuivent dans une stratégie type « winner takes all ». Rappelons simplement que tous sont des acteurs exogènes dont la survie ne dépend pas de la rentabilité à moyen terme de leur plateforme de VOD… et que, par exemple, la capitalisation boursière totale de Netflix représente moins de 15% de celle d’Amazon).


Peut-on parler d’arroseur arrosé ? De concurrence déloyale envers Netflix ? Nous vous proposons de poursuivre la réflexion la semaine prochaine en évoquant des marchés qui – eux – ne sont plus disputés et affichent des prix monopolistiques.


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